Mission au Maroc le 22 janvier au 17 février 1979.
De la pédagogie du néo-colonialisme à la pédagogie futuriste...
Après une mission de 5000 kilomètres à travers le
Maroc il m'a paru intéressant de communiquer quelques
réflexions concernant la vie en général à
travers l'un des pays dits "sous-développés", à
l'aube d'une pénurie dans les pays "dits riches", de
façon à bien montrer qu'il est impossible de retourner en
arrière; l'homme utilisant par tous les moyens, les acquis du
progrès technique pour continuellement se dépasser.
Premiers contacts:
Juste le temps de déjeuner, de lire deux journaux, à
partir de Bordeaux-Mérignac et la caravelle d'Air France touche
le sol africain à Rabat-Salé.
Les ennuis commencent au contrôle de police où tout le
monde se trouve systématiquement fiché et
interrogé, "où allez-vous?" -" je vais forer des puits" -
" pourquoi?" - " pour le pétrole bien sûr" répond
un
technicien qui me précède, le policier, comprend enfin.
Ma profession lui semble plus familière, sourires, je passe.
L'accueil protocolaire des services culturels de l'ambassade chaleureux
laisse percer quelques inquiétudes, les exigences du personnel
coopérant devant l'examen ( et les miennes?), les angoisses, des
grèves imminentes, le secret d'une
guerre aux confins du Sahara
dont personne n'ose parler, mais qui ne cesse de tarir les ressources
du pays rend les marocains nerveux.

Ma première visite s'effectuera dans un lycée militaire
royal (Académie Royale) de Kenitra, ancienne base
américaine qui a connu ses heures de gloire.
Contrôle très souple à l'entrée, on
respecte beaucoup les représentants de
l'éducation, accueil chaleureux d'un colonel en civil,
commandant le lycée.
Il lit le Monde et manie notre langue à merveille, j'aimerais
bien connaître l'arabe aussi bien, thé à la menthe
apporté par le planton militaire au garde-à-vous,
échange de politesses; le ménage a été
fait, il s'agit de donner bonne impression au visiteur français.
L'indépendance c'est une vieille réalité, mais on
sent partout, le grand désir de vivre aussi bien que les
français; du cadre à la jeune secrétaire on
perçoit cela, chez tous. Ce lycée accueille non des
futurs militaires mais des enfants d'officiers et de sous-officiers;
c'est un service social me dira le colonel . J'évoque les faits
d'actualité qui ont rendu cet endroit célèbre:
base d'où sont partis les avions attaquant celui du roi;
réponse citoyenne!
L'envol rapide à l'horizon, des pique- vaches, oiseaux blancs au
long bec laisse impassibles des avions super-géants,
démodés cloués au sol pour jamais de par leur
âge, derniers témoins de la coopération
américaine.
Les grandes villes bordées par des bidons-villes
De Rabat à Casablanca, c'est un flot incessant de voitures qui
roulent pourtant avec un carburant aussi cher que celui de France,
route touristique qui longe la mer; évidemment on y
rencontre un palais-royal très célèbre Sidka ;
l'arrivée à Casablanca se fait au beau milieu d'une zone
industrielle très animée, une usine ultramoderne chinoise
de traitement des ordures ne fonctionne plus, car elle incommodait avec
ses fumées, aussi l'amoncellement des ordures cachent les
bidonvilles qui ceinturent la ville.,.
Les mêmes embouteillages qu'à Bordeaux ou Marseille, avec
quelques femmes voilées en plus, le même fourmillement.
Les diverses visites dans les établissements scolaires seront
très courtoises et distantes, comme dans tout
établissement urbain. Je pourrai constater que les laboratoires
de sciences physiques ont acquis tout le matériel dernier cri de
France ; encore beaucoup de coopérants français sont
chargés d'initier les garçons de laboratoire au
fonctionnement de celui -ci, ils attendent la relève marocaine
qui tarde un peu car il existe encore de bonnes places dans le
privé et l'enseignement comme ailleurs est mal payé.





Les élèves préfèrent les professeurs
français, aux roumains ou bulgares dont le français
hésitant rend encore plus difficile la compréhension pour
l'acquisition des lois physiques et chimiques; pour être admis
à la coopération certaines mauvaises langues disent
qu'ils apprennent les tests de français par coeur.
Les jeunes apparaissent aussi intransigeants aux tranquille proviseurs
et censeurs de lycées de 2000 à 3000 garçons
ou filles que les nôtres; difficultés identiques,
rébellions pour cigarette allumée au mauvais moment,
grève de professeurs, excitations à des moments
politiques de la vie du pays, ce qui se traduit le plus souvent par des
jets de cailloux et des dévastations en tous genres; les
filles arrivant souvent en tête dans ce genre de sport.
En classe ces jeunes se montrent très attentifs, rencontrent des
difficultés de langage, en particulier en sciences et
mathématiques, encore enseignés en français; ils savent
que l'instruction et le baccalauréat, l'équivalent du
bac français leur permettront de se promouvoir et de devenir
un chef l'occidental, avec une voiture et toute un
confort hors de leur portée aujourd'hui.
L'ensemble des établissements secondaires de cette ville immense
se caractérise par son gigantisme, ils surgissent à la
périphérie des villes près des bidonvilles,
évidemment subsistent les premiers lycées du temps de la
colonisation envahis par les enfants des classes dirigeantes.
Tout cela ressemble beaucoup tant du point de vue de l'organisation, que du
fonctionnement et de l'architecture aux établissements de France
et reste, de ce fait, aussi peu accueillants et froid.
L'exotisme n'est pas à rechercher dans ces grandes métropoles mondialement standardisées, il est ailleurs.
Un Boeing 727 de Royal Air Maroc venant de France avec son plein de
touristes me permettra d'atteindre Marrakech, mais auparavant tourisme
oblige, il sera dérouté sur Agadir, d'où un retard de
2h00, mais l'avion ici est
une nécessité, et non pas un
moyen d'aller vite pour gagner du temps.
Un grand avion bleu masque la piste de l'aéroport, entouré
de soldats en armes ce Boeing 707 s'appelant Schahin (aux WC en or dit-on), la radio
avait annoncé le repli du Shah d'Iran sur Marrakech ,
informations vérifiées, mais ce visiteur est embarrassant pour
tous, personne n'ose en parler, ce qui me vaudra la
confiscation, évitée de justesse, de mon appareil photo,
toujours trop curieux.
Marrakech:
30°C au mois de février, la bière coule à flot,
ici on a bien l'impression d'être dans un autre monde, mendiants
sympathiques et astucieux qui vous aident à trouver la bonne
pièce au fond de votre porte-monnaie pour en prendre plusieurs
évidemment au passage de leurs doigts crochus, ou qui vous font
signer une pétition à
tendance sociale, constructions d'un club, d'un stade pour vous
extorquer quelques dirhams.
La fameuse place est là, cirque perpétuel, où
l'on s'exprime, en parlant, chantant, en charmant les serpents, en
faisant l'acrobate, attirant une foule passionnée, ruines
millénaires où l'on rencontre des guides
zélés grands admirateurs de Lyautey, sincères ou
flatteurs? A l'ombre des orangers et sous la
surveillance de cigognes, il est possible de profiter au maximum de
l'exotisme des lieux.
Un lycée pilote offert par une fondation américaine,
dans ce
lycée français on rappelle à cette masse de jeunes
qu'il faut apprendre pour pouvoir vivre à l'occidentale;
cependant à
deux pas de là un convoi de chars transport de troupes dernier
cri prend la
route pour El Aïoun, c'est là bas que se situe le
harcèlement à la
frontière des rebelles du Front Prolisario.
Tandis que sur les pentes enneigées de l'Atlas, des
citadins se préparent à descendre les pistes pour
ne pas être en reste avec les évasions à l'occidentale.
Au revoir M. le proviseur demain, je vais à Agadir, - au plaisir de
vous revoir, "In shalla", répondra le fatalisme de l'islam, si Dieu le veut.
Agadir:
tristement célèbre pour son séisme
meurtrier, l'ancienne ville a été engloutie avec ses
habitants en 1960, entièrement reconstruite on a l'impression
d'être à Royan ou à La Baule, les risques de séisme
subsistent, les premiers bâtiments répondent aux normes
anti-sismiques, les autres, on a oublié la catastrophe,
aujourd'hui, touristes allemands ou hollandais cultivent
déjà
leur bronzage.
À la périphérie, d'immenses bidonvilles quelques
arpents de terre, des moutons, des chèvres, l'arbousier permet
à la chèvre de manger et à l'homme de fabriquer de
l'huile, à la périphérie on a l'impression de
vivre au moyen âge avec cependant la pile électrique et le
transistor.
L'attaque de Tan-Tan par le Front Prolisario vient d'avoir lieu, une
centaine de morts, personne ne saura exactement, l'avion d'El Aïoun
ramène quelques militaires en permission, 2h00 de retard, impossible
de savoir si l'on repartira vers Casablanca même le
consul de France ne peut répondre.
Enfin le Fokker
décolle sur la mer et c'est un adieu à ce paradis des
agences de voyages.
Cette guerre d'usure coûte cher au pays les soucis
économiques apparaissent plus aigus que les pertes humaines nous
dira-t-on au cours d'échanges, encore le fatalisme maghrébin.
Le départ pour Tanger par
le Boeing 737 régulier Casablanca Madrid m'enchante en
pensant aux leçons de
géographie d'antan, Tanger ville internationale jusqu'à
l'indépendance bien sûr. La Grande-Bretagne, l'Espagne, la
France se
partageaient alors l'administration de cette ville.
Évidemment aujourd'hui c'est une ville beaucoup plus calme, tout
le monde regrette le statut international qui facilitait les affaires;
les seuls vestiges, de nombreuses banques et des hommes parlant
l'espagnol, anglais et le français, et l'arabe bien sûr.
Beaucoup de constructions en chantier mais aussi un immense bidonville près de mon hôtel international.
Une très courte incursion dans ce qui fut le Rif
espagnol, jusqu'à Tétouan le temps de faire passer deux
CAP et d'admirer des petites fermes accrochées aux flancs
des collines, la terre se laboure le plus souvent à la charrue
en bois
tirée par des boeufs ou des ânes.
Il paraît que l'on cultive et que l'on commercialise la drogue, le kif.
Des restes de la
colonisation espagnole avec l'enclave espagnole de Ceuta et
quelques ruines de casernes et d'haciendas complètement
abandonnées.





Oujda:
l'avion régulier Casablanca- Marseille encore un Boeing 737 dont
la ponctualité sera perturbée par la grève des
aiguilleurs du ciel espagnols, nous déposera au passage, pour
une journée à Oujda, près de la frontière
algérienne ce qui oblige l'avion à négocier un beau virage pour l'éviter.
Ici, il n'a pas encore plu, tout est rouge, un vent de sable très
chaud a empêché le blé de lever; il règne
partout une certaine tension, grèves, et aussi des
répercussions liées aux accrochages du Sahara.
L'ennemi se trouve là, juste derrière la frontière.
Le
soir notre avion se trouvera immobilisé sur l'aéroport
pendant plus de 2h00 à cause du brouillard régnant
à Casablanca, la sentinelle en arme sur la piste nous rappellera
les réalités.





A Meknès je rencontrerai à l'académie royale militaire
un colonel français habillé en colonel marocain,
coopération oblige.
Les coopérants me feront connaître le directeur des
cinémas qui s'enorgueillit d'avoir reçu dans ses
établissements la princesse qui n'hésitait pas à
faire rembobiner le film lorsqu'elle arrivait en retard. De
même une coopérante s'enorgueillit d'avoir fait passer
l'oral au fils du roi.
Lors d'une récréation je visiterais le site gallo-romain de Volubilis une véritable merveille.
Et sur la route de Meknès au Rif je
visiterai la ferme d'un ancien colon dont les ouvriers me recevront
chaleureusement m'offrant le thé; les bâtiments sont en ruine.
A Fès la fête bat son plein, une fantasia attire une immense foule.
Impressions rédigées en 1979 à Jonzac.